Été ’23 (littérature)

Un été d’autrices et de surprises littéraires, dont je retiens surtout la plume précise et frappante d’Elisa Shua Dusapin, celle fine et habile de Tove Jansson, et la magie de l’univers de Shion Miura.


Les Billes du Pachinko (2018)

Après avoir découvert Hiver à Sokcho, j’avais hâte de lire un autre ouvrage d’Elisa Shua Dusapin. Il s’agit d’un roman qui traite de nombreux thèmes à la fois, et qui bien que rapide à lire n’est pas pour autant facile à lire. La description que l’autrice fait de Tōkyō n’épargne aucun détail sordide, et nous donne l’impression d’une ville (ou devrais-je dire spécifiquement d’un quartier, celui de Nippori) en décomposition, où tout n’est que nourriture industrielle et jobs impossibles (travailler tous les jours à 80 ans, faire la femme sandwich toute la journée). Tōkyō est opposée aux montagnes où se trouve Mathieu – là où il y a sûrement suffisamment d’arbres pour les abeilles. Le thème de la perte est omniprésent – celle de la nature, mais également d’une identité, d’une langue. Des barrières se dressent ainsi entre les membres d’une même famille qui ont grandi dans différents pays, avec différentes langues maternelles. Comme le classique Pachinko de Min Jin Lee, ce petit livre est également une plongée dans l’univers des citoyens Zainichi du Japon, et de leur relation complexe avec ce pays, et avec leur pays d’origine – une Corée qui n’est plus. Déracinée, la grand-mère de Claire n’est pas vraiment chez elle à Tōkyō, mais ne le serait pas vraiment non plus en Corée du Sud. Les échanges entre les personnages sont très réalistes et les sentiments de Claire habilement transmis. Elle cherche à faire de son mieux mais ne sait comment ; ne sait dans quelle langue. C’est un roman assez sombre, qui frappe par son réalisme et sa justesse. Les personnages sont attachants et leur histoire contée avec une économie de mots qui ne la rend que plus intense. Je choisis d’en retenir que là où les mots manquent, même si les mots manquent, tant qu’il y a de l’amour – il se ressent.

Killing Kanoko / Wild Grass on the Riverbank (1980-2005)

Ce recueil de poésie, traduit par Jeffrey Angles (2020), rassemble divers poèmes écrits par Hiromi Ito entre 1980 et 2005. C’était une lecture assez crue, intime, se lisant comme une expression de chacune des pensées de l’autrice sans aucun filtre, ce que j’ai trouvé à la fois perturbant et rafraîchissant. J’ai préféré la première partie à « Wild Grass on the Riverbank ». Bien qu’explicite et contenant des limites floues et discutables, les poèmes dans « Killing Kanoko » semblaient malgré tout servir un but clair. Ce n’est pas quelque chose que j’ai retrouvé dans la deuxième partie, plutôt difficile à lire et à comprendre, notamment en raison des répétitions autour du thème de la pourriture. Je retiens de ce livre la description très réelle et réaliste de la vie et des sentiments d’une jeune mère, ainsi que son aspect linguistique. À cet égard, il aurait été intéressant d’inclure dans ce recueil l’original japonais et d’en faire une édition bilingue. J’ai en tout cas trouvé le poème « Nashite Mounen », réinterprétation de la relation entre Lafcadio Hearn et son épouse, très intéressant. Il est conté du point de vue féminin et revendique l’idée selon laquelle la principale barrière entre ces époux n’est autre que le langage. Dans l’ensemble, une découverte intéressante !

ツバキ文具店の鎌倉案内 (2018)

Cet ouvrage d’Ito Ogawa dont le titre peut se traduire par « Guide de Kamakura par la Papeterie Tsubaki » complémente le roman ainsi mentionné, et on y explore en effet les lieux autour desquels gravite l’histoire. Il s’agit d’une agréable lecture pour tout amoureux.se de Kamakura qui aimerait en découvrir plus sur la ville, et constitue par ailleurs une précieuse ressource afin d’explorer des quartiers moins visités, et de découvrir de nouveaux temples et sanctuaires hors des sentiers battus. J’ai adoré les illustrations, et apprécié approfondir ma connaissance de cette charmante ville.

神去なあなあ日常 (2009)

Ce roman de Shion Miura, au titre pouvant se traduire par « Jours tranquilles à Kamusari », nous conte l’histoire d’un jeune homme de la ville, fraîchement diplômé du lycée. Indécis quant à la suite de ses études, il se retrouve ainsi envoyé dans les montagnes par ses parents, via un programme financé par le gouvernement afin d’attirer plus de jeunes dans les régions rurales et de parer au manque de main d’œuvre en foresterie. L’autrice passe un temps considérable à décrire le travail qui s’effectue au sein des montagnes japonaises, ce que j’ai trouvé vraiment intéressant à lire et à contempler – je pense rarement au fait que les forêts couvrant les montagnes que j’aime tant parcourir sont presque entièrement façonnées par les humains. Je n’ai pour autant pas trouvé de message particulièrement frappant sur le thème de la nature, et ai plutôt été surprise par certaines déclarations à tendance contradictoires et au final assez anthropocentriques. Les personnages étaient dans l’ensemble attachants, bien que légèrement cliché – la diversité n’était pas particulièrement au rendez-vous. La position des femmes dans ce roman le prouve – quid des femmes travaillant dans les montagnes ? Elles existent pour sûr, mais pas dans ce roman. Elles restent principalement à la cuisine et soutiennent les hommes travaillant à l’extérieur, et ne sont pas réellement présentes autrement qu’en tant qu’intérêt romantique. J’ai pour autant apprécié lire cette histoire, simple à suivre et immersive, dont l’aspect le plus intéressant était peut-être le cœur culturel de ce village au milieu des montagnes japonaises. La vie du village ainsi que son atmosphère étaient particulièrement bien décrites et m’ont ainsi donné envie de poursuivre ma découverte de ce roman (car il y a une suite).

The Summer Book (1972)

Et histoire de parfumer mes lectures d’arômes estivales, j’ai ajouté ce classique de Tove Jansson à ma liste cet été. Traduit par Thomas Teal, l’histoire nous conte les aventures de Sophia alors qu’elle passe l’été chez sa grand-mère sur une petite île du golfe de Finlande. Les journées passent au rythme des vagues et du vent les entourant, ponctuées par des visites extérieures qui deviennent alors des opportunités pour toujours plus de réflexions entre les deux personnages. Leurs discussions tour à tour surprenantes, magiques ou sérieuses sonnent juste et résonnent fort, créant des scènes mémorables et des impressions marquantes. Sophia et sa grand-mère sont particulièrement attachantes, et leur relation tout comme celle qu’elles entretiennent avec la nature qui les entoure est dépeinte avec beaucoup de finesse. Les illustrations dispersées ici et là à travers l’ouvrage ajoutent un visuel unique rappelant l’univers de la créatrice des Moomins, curieux et réconfortant. Peut-être devrais à présenter m’intéresser à la série Moomin ?

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